Bachir Tayachi : le photographe Tunisien qui transforme son chagrin d’amour en une oeuvre visuelle immersive

In My Room, de Bachir Tayachi (un des photographes Tunisiens les plus inspirants selon moi), a été présenté pour la première fois à JAOU Tunis à l’automne 2024.

Je n’ai pas pu y assister, certes.  Mais j’ai pu creuser un peu partout entre interviews et articles sur internet pour comprendre sa démarche et ce qu’il a voulu véhiculer. 

Tout ce que j’ai vu, lu, entendu autour de cette exposition m’a profondément marqué.
Les mots de Bachir Tayachi dans ses différentes interviews, sa manière de raconter son chagrin d’amour, les fragments d’images et d’installations, les vidéos, l’histoire derrière…

In My Room, n’est pas qu’une exposition. C’est une tentative sincère et frontale de transformer une rupture amoureuse en espace collectif à traverser.
Trois pièces. Trois états émotionnels. Et entre les murs, une seule idée : faire vivre au public les dessous émotionnels de ce qu’il a traversé, avec beaucoup de courage et de poésie.

Qui est Bachir Tayachi ?

Bachir Tayachi est un artiste visuel, directeur de films, photographe de mode et étudiant en architecture, né à Tunis en 1995.

Issu d’une génération queer tunisienne encore largement invisibilisée, il développe une pratique artistique à la croisée de l’intime et du révolutionnaire, mêlant photographie, vidéo, dessin et installation.

Son travail a été présenté dans différentes expositions telles que Summer fling (Galerie Aicha Gorgi, Tunis, 2021), The Wait (Investec Cape Town Art Fair, 2022), Injurier le Soleil (32bis, Tunis, 2022), La Fabrique (Jaou, Tunis, 2022) et Borderless (Cairo Photo Week, 2023). Il a également été présenté dans Nowness et Vogue Arabia (2021).
En 2022, il réalise Black Little Sheep, un court métrage présenté lors de Khatawat Ciné Par’Court à Tunis.

Il fait partie des jeunes voix artistiques émergentes du monde arabe, et son univers singulier mêlant fragilité, pudeur et intensité, lui a valu d’être sélectionné pour plusieurs résidences, notamment à Marseille, où il a conçu son premier solo show, In My Room.

En 2024, cette exposition immersive est présentée à JAOU Tunis dans le cadre de la biennale, marquant une étape importante dans son parcours.

In My Room, fragments d’un cœur brisé

Selon Bachir, In My Room, est une traversée, et pas une exposition comme les autres. C’est un lieu mental, émotionnel, où chaque salle est une étape d’un chagrin d’amour. 

Et pas n’importe quel chagrin. Plus précisément, celui d’un homme gay, dans un pays où la communauté est toujours rattachée à la répression et à la masculinité toxique. In My Room a été pensée comme une escape room intérieure, où chaque pièce est une tentative de s’échapper du manque, de la douleur… ou de soi-même.

Créée lors d’une résidence artistique à Marseille, cette première exposition solo a été présentée à JAOU Tunis en octobre 2024. Elle porte en elle ce que Bachir Tayachi sait faire de plus fort : transformer sa vulnérabilité en langage plastique, intime mais jamais refermé sur lui-même.

Selon Bachir, « In My Room représente les étapes q’uil a vécues après sa rupture. » Elle se compose de trois pièces, représentant trois phases principales. 

Première phase : la rage

La première pièce de l’exposition s’intitule “The Rage Room”.
Un espace marqué par la colère brute, contre son ex, contre lui-même, contre une société dont les codes blessent.

J’étais très en colère contre cette masculinité toxique, qui me fait me sentir mal à l’aise avec ce que je suis. […] Cette colère m’a donné du courage. Elle m’a permis de m’affirmer, de ressentir mon corps autrement.”  – Bachir Tayachi, dans son interview pour ARTE (15:15)

Des images fortes accrochées partout, des éléments visuels et sonores projetés, une lumière agressive. 

La Fuite

Dans la deuxième salle, intitulée “The Happy Hunting”, on entre dans un univers plus ludique.  Une chambre entièrement rose, vêtue d’une texture en plumage, avec un seul élément central : un homme anonyme qui pose des questions typiques de la « hook-up culture » gay, dans un écran.

Une voix pose des questions : “Have you ever had a one-night stand?”, et un code est donné pour passer à la salle suivante.
Le dispositif est presque performatif, comme un rituel de passage.

Pour accentuer la gêne, Bachir accompagne le tout par un effet « webcam », des sons de notifications de l’application Grindr, et beaucoup d’autres petits détails qui illustrent parfaitement l’amertume de la solitude queer contemporaine, et ce rapport un peu trop brute et mécanique à la sexualité. 

Je voulais rencontrer des gens, avoir de multiples interactions […] Grindr peut nous relier, mais parfois il nous oppose. Il y a quelque chose de très mécanique, presque inhumain.” – Bachir Tayachi, dans son interview avec ARTE (15:20 à 15:35)

La Guérison

Dans la dernière pièce, “The Healing Room”, la fureur laisse place à l’apaisement. Bachir y parle à son “petit B”, l’enfant qu’il a été, vulnérable mais déjà résilient.

Une installation de vidéos tournées dans sa chambre, des objets personnels, des dessins, des fragments de tout ce qu’il a pu transformer et toutes les créations qu’il a pu faire naître de ce parcours.

Il n’y a pas de réponse précise à trouver, mais un silence dans lequel chacun peut entendre le sien.

Le petit B m’a parlé et j’ai écouté. […] J’espère qu’un jour, on atteindra un niveau d’amour et de reconnaissance qui nous permettra de parler de nous-mêmes avec fierté et liberté.” – Bachir Tayachi, dans son interview avec ARTE (17:45)

Pourquoi ce projet me touche ?

Il y a quelque chose d’universel dans le fait d’avoir mal suite à une rupture amoureuse.  Mais il y a quelque chose de très rare dans la manière dont Bachir la raconte.

Ce n’est pas tant l’histoire d’un chagrin d’amour qui me touche ici. C’est ce qu’il en fait, et comment il a pu transmettre son vécu à travers plusieurs éléments artistiques.

Je me suis reconnu dans sa manière de passer par des phases : la colère, l’évitement, la fatigue de tout ressentir intensément…  Mais surtout dans ce besoin de transformer son vécu et sa vulnérabilité en oeuvres qu’il partage au monde.

Pas pour exposer sa douleur.
Mais pour l’habiter, la traverser et par la suite la raconter avec les moyens qu’on a.

Ce projet me parle parce que moi aussi, j’ai ce besoin de créer quelque chose de ma souffrance. Les moments où j’ai le plus envie de créer, c’est surtout ces moments où j’ai envie d’hurler et dégager ce que je ressens. 

Je me vois beaucoup dans cette manière de puiser de la créativité dans la douleur. Je me projette dans ce désir de transformer ma colère ou ma tristesse en quelque chose de beau, et de la diffuser de manière subtile.

Même si je n’ai pas pu découvrir l’expo de Bachir, je trouve que son oeuvre est tellement puissante que j’ai pu l’expérimenter et la « vivre » à travers ses paroles, et tous les fragments que j’ai pu trouver sur internet. 

Ce qui m’inspire chez Bachir Tayachi

Cette partie est sûrement la plus dure à écrire de tout cet article. 

Je suis le travail de Bachir depuis quelques années maintenant. Je n’ai jamais conscientisé pourquoi il m’inspire, mais je vais essayer de poser des mots sur ce que je ressens. C’est bien le but de cette catégorie « Inspirations » après tout ! 

L’univers esthétique

Parfois, il ne faut pas chercher plus loins que ce que nos yeux apprécient. La beauté de ce qu’on voit est une raison légitime d’apprécier le travail de quelqu’un. Sans forcément intellectualiser le pourquoi du comment. Bachir crée des portraits qui m’éblouissent, vraiment. Tout simplement. Je dirais que ce qui m’attire le plus dans son univers visuel, c’est les couleurs qu’il fait ressortir, ses compositions, et cette douce saturation qu’il crée avec la lumière. La plupart de ses photos me dégagent une combinaison de réalité brute et de fiction. Et je penses que je ne pourrais pas l’expliquer autrement. 

Ce qu’il arrive à dégager de ses modèles

En défilant la grille Instagram de Bachir, je peux dire que un des atouts par lesquels il excelle dans ce qu’il fait, c’est cette sorte d’aura qu’il arrive à faire dégager des personnes qu’il prend en photo. 

Je sais que la majorité de ces modèles sont des professionnels, mais je sais qu’ils ne poseront pas de la même manière avec quelqu’un d’autre. 

Je n’ai jamais eu la chance de poser devant Bachir, mais je suis sûr qu’il arrive à transmettre son courage et son audace à ses sujets.

Dans la plupart des photos, le regard me transperse. Ses créations dégagent une énergie très forte et limite contagieuse. 

Un artiste qui vaut le détour

J’espère que mes mots et ma modeste curation vous encouragent à jeter un coup d’oeil à ce photographe qui brise les codes. Les créations de Bachir valent vraiment le détour, et je suis sûr qu’il arrivera à vous faire ressentir quelque chose de spécial à travers son travail. Et si c’est le cas, j’aimerais bien que vous me partagiez ce qui vous a marqué chez lui.

N’hésitez pas à m’écrire par email ou directement en message privé sur Instagram. 

À bientôt !